After a while- Aoi.

Il leva les yeux au ciel, devant le tableau. Les lycéens pouvaient être particulièrement débiles dans leurs réponses. Il n’y prêtait pas particulièrement d’attention au final. Ça lui était égal malgré tout. Mais cette fois-ci la journée avait été longue et la réponse de son élève l’avait empêché de retenir son mépris.


C’était là où il parlait le plus. En classe. Le reste du temps il était plutôt silencieux et discret. Après tout, en dire trop n’était pas utile, et pouvait même aller jusqu’à poser quelques problèmes.
La cloche retentit, et il fit disposer ses élèves d’un signe de la main.


Puis, il rangea ses affaires. Dernier cours de la journée, il pourrait aller poser son cul en salle des profs pour deux heures de plus, histoire de rester disponible pour ses élèves. Il faisait bien son travail, mais il n’était pas particulièrement apprécié. Qu’il s’agisse des autres professeurs ou des lycéens. Après tout, il ne montrait d’intérêt particulier à personne. Alors on avait vite pris l’habitude de l’ignorer. Seule Yokohama-san continuait de lui raconter tous les jours ses déboires amoureux de façon très envahissante. Mais il l’écoutait à chaque fois. Son indifférence lui donnait au moins la capacité de ne pas être agacée par elle, à l’inverse de tous ses autres collègues.

En général, il profitait de ces quelques heures pour travailler un peu son doctorat. Il traînait un peu. La vie active était bien plus alléchante, et la vie universitaire commençait à le gonfler. Croiser les étudiants dans le couloir, souvent les siens le saoulait. Il fallait répondre à chacune des sollicitations parfois simplement des salutations, d’autres fois des discours d’une plombe. Souvent il se demandait ce qu’il foutait dans ce milieu, puis au final, il se rendait compte qu’il s’y plaisait bien.

Deux heures d’écoulées dans le silence le plus total, sans véritablement avancer sur sa thèse. Le téléphone dans les mains, il avait passé plus de temps à procrastiner. Il avait même fini par envoyer un message à sa vieille amie Aoi pour sortir boire un verre avec elle. Ça faisait un moment qu’ils n’avaient pas pris le temps de se voir, d’échanger, alors c’était l’occasion. Ce soir, il avait la tête à sec il avait besoin de sortir se changer les idées.

Par ce temps frais, il enfila sa veste et son écharpe avant de partir. Il gratifia ses collègues d’un poli « bon travail. » et s’éclipsa tel le fantôme qu’il était. C’était un peu comme si l’ambiance était lourde partout où il passait. Sa nonchalance et son apathie pesait souvent sur les autres, mais ne semblait pas le déranger à lui-même.

Ils se retrouveraient dans un restaurant à Shinjuku. Un petit lieu assez discret et peu fréquenté qu’affectionnait particulièrement Junpei pour son côté calme et discret. Un peu à son image.

Il traversa la ville en quelques dizaines de minutes, évitant soigneusement tout contact avec les premières personnes éméchées qui traînaient dans la capitale. Il ne supportait pas le manque de tenu. Eduqué dans une famille stricte, il ne lui serait jamais venu à l’idée d’avoir un comportement désinhibé. Il poussa la porte de la petite cabane et s’inclina respectueusement. Il balaya la salle d’un regard, ne trouvant pas Aoi il en conclut qu’elle n’était pas encore arrivée. Il était un peu en avance en même temps.


Il s’installa un livre entre les mains, une bière en face de lui et entama sa lecture, droit comme un i.

J'ai été surprise par cette invitation, je ne m'attendais pas à recevoir le moindre message de sa part. Enfin… Je m'étais toujours imaginé Monsieur Takeda Junpei comme quelqu'un qui ne ferait jamais le premier pas, qui n'enverrait jamais le moindre message, sauf peut être en cas de grande nécessité. Et pourtant, la preuve est que je me suis bien plantée, puisqu'après une longue période à ne pas prendre le temps de se donner de nouvelles, c'est lui qui a envoyé ce fameux premier message et qui a lancé cette invitation au restaurant. Je suis plutôt satisfaite. Une invitation à dîner, ça ne peut pas être une urgence vitale, hein ? Je vois pas comment ça pourrait l'être. Je me plais à me dire qu'il avait juste envie de me voir, ce qui est plutôt flatteur en vrai. Rien de romantique, je le sais, et ça serait carrément trop bizarre. Certes, j'en aurais rêvé avant, il y a très longtemps. Mais plus maintenant. Mais cette invitation me paraît plaisante, je dirais même que ça a illuminé la fin de ma journée. Parce que je suis disponible pour aller à sa rencontre et que je l'aime bien, Junpei.

Je termine le travail, une chance que j'ai été de l'après-midi aujourd'hui ! Et comme j'habite pas loin de mon travail et de l'endroit auquel il m'a donné rendez-vous, j'ai pris le temps de faire un petit tour chez moi pour prendre une douche et me changer, enfiler quelque chose de plus confortable mais tout de même très présentable ! Je n'ai pas envie de lui faire honte non plus. Même si… Ouais, je sais même pas si ce mec est capable d'avoir honte pour quelque chose dans ce genre là. Peu importe. Je veux me montrer respectueuse et présentable, voilà.

Mais du coup, le temps de me préparer de nouveau, je n'arrive pas en avance sur le lieu de rendez-vous. Je reste quand même pas en retard, je suis pile à l'heure quand je passe la porte du resto. Je cherche alors Junpei du regard et je le repère assez vite. Un petit sourire s'affiche sur mon visage et je ne tarde pas à me diriger vers lui. Je ne peux m'empêcher de me sentir amusée par cette posture trop stricte qu'il adopte sans arrêt. Tu me diras : il risque pas de s'abîmer le dos au moins, mais sans déconner, il est tellement droit qu'il a l'air d'avoir un manche à balai dans le… Bref. Il est tellement concentré sur son bouquin en plus… Je m'assois auprès de lui et je l'observe. Quelques secondes, juste quelques secondes. Et puis enfin, je prends la parole :

« Bonsoir ! » dis-je finalement. « Dans un premier temps, rassure moi : aucune urgence vitale dans ce rendez-vous, hein ? »

Au moins, les choses seront claires. La surprise d'avoir été invitée par lui restera une surprise et pas une source d'inquiétude. Et puis peut-être est-ce une façon de le taquiner très légèrement. Si légèrement qu'il ne le remarquera probablement pas.

« Comment s'est passé ta journée ? »

Il sent son regard sur lui, mais il fini quand même sa page. C’est toujours comme ça avec lui, il ne prend pas le temps de s’excuser, ou de se déranger pour quelqu’un d’autre. C’est son confort avant celui d’un autre. Puis, sans un bruit, il ferme ce bouquin derrière lequel il était planqué, et dévoile un très léger sourire presque transparent. Il l’aime bien Aoi. Elle est gentille, et elle lui rappelle sa jeunesse.


Comme d’habitude, il reste évasif. Au final, il aurait pu se produire une catastrophe que sa réponse aurait été la même. Il ne nota pas la pointe de sarcasme non plus, trop occupé à ranger son bouquin dans la poche intérieur de son blouson. Pratique ces petits livres… de poche. Oui, logique.


Il attrapa sa bière et en bu une légère gorgée avec beaucoup trop de classe pour quelqu’un qui boit de l’orge.


Il était d’usage de poser cette question après que quelqu’un vous l’ai d’abord posé. Non pas qu’il ne s’intéressait pas à la vie d’Aoi, au contraire, elle était l’une des seules pour qui il avait de l’intérêt. Mais il n’avait pas l’habitude de retourner les questions. Alors il mettait toujours un moment avant de le faire, comme s’il oubliait plus qu’autre chose.


Et pourtant il crevait de faim. Il rêvait d’un bol de nouilles qu’il pourrait avaler goulûment sans aucune dignité, penché sur son bol tel un être avachi. Mais il était heureux quand il mangeait ses nouilles et c’était tout ce qui comptait.

Avec une lenteur déconcertante, mais pourtant fidèle à lui même il fit un petit signe de la main pour appeler le serveur, pour qu’Aoi puisse commander. Puis, il plongea son regard dans le sien. Il faisait souvent ça lorsqu’il s’intéressait réellement à quelqu’un. Pour lui, c’était montrer que cette personne avait toute son attention. Pour les autres c’était surtout malaisant, particulièrement quand on ne le connaissait pas, mais ce n’était pas le cas d’Aoi. Elle était habituée à lui maintenant. Quoi que ça ne l’intéressait pas particulièrement de savoir comment elle le trouvait.

Il esquissa de nouveau un sourire presqu’invisible, que seuls ceux le connaissant réellement pouvaient déceler. c’était ce genre de sourires intimes qui n’étaient réservés qu’à l’élite. Et elle en faisait clairement partie.

A vrai dire, j'ai attendu un instant, il était totalement plongé dans son truc, alors… Ouais, j'ai été patiente. Je sais qu'avec lui, il faut être patient. Parce que si t'es pas patient avec ce mec, tu finis juste par péter un câble. Lui, il se fout de l'empressement des autres. Il a toujours été comme ça. Alors j'ai suivi son regard du mien, et j'ai attendu qu'il soit en bas de la page pour le saluer et le questionner. Et il m'annonce qu'il y a pas d'urgence vitale. Enfin… Il me dit juste "rien d'extraordinaire", ça veut bien dire qu'il y a rien de grave et qu'il va pas m'annoncer la mort de quelqu'un ou que je ne sais trop qui se trouve à l'hôpital ou… Que sais-je ? Le pire, c'est qu'il serait foutu de me lâcher une telle information dans le plus grand des calmes. Mais maintenant qu'il m'a répondu, je laisse ça de côté, ça me sort vite fait de la tête et je m'intéresse à sa journée. Un petit sourire amusé trône sur mes lèvres quand il me lâche, en toute normalité, que ses élèves sont carrément stupides.

« Je croyais que t'avais une place dans un bon lycée ? » dis-je, les sourcils légèrement arqués. « Tu sais, au lycée, tout le monde est un peu con je crois. Non ? »

Au primaire et au seconde aussi tu me diras, mais… Certes. C'est des jeunes, c'est normal qu'ils aient un côté débile, non ? Ils sont littéralement pas finis, comme on dit. Il y a un léger blanc, et il me retourne ma question. Il le fait pas toujours, mais je lui pardonne à chaque fois qu'il ne le fait pas. Je me suis carrément habituée à lui et je m'adapte. J'ai bien dû apprendre à m'adapter aux gens. Je réfléchis un court instant.

« Mh… Carrément banale en fait. Je crois qu'après le type chelou que j'ai rencontré l'autre soir, tout me paraît à peu près banal maintenant. Je dirais même que je me suis ennuyée. »

Un léger rire, mais on va dire que je riais moins lors du fameux soir en question. J'ai pas trop compris ce qui s'est passé. J'ai pas trop compris qui était ce type. Mais en soi, peu importe, maintenant c'est passé et j'ai même survécu, c'est déjà une bonne chose, pas vrai ?

« Très aimable à toi. Je veux bien prendre une boisson en même temps que le dîner. »

Peut-être qu'il a faim, et puis j'ai faim aussi. Moi ça me gêne pas de boire mon verre tout en mangeant. Je suis pas à ça près, et c'est pas comme si c'était quelque chose qui se faisait pas. Nos regards l'un dans l'autre, je me sens exister. Dans ses yeux, j'existe. J'ai pourtant remarqué qu'il n'y a pas grand monde avec qui il échange de longs regards comme ça, pas de façon intéressée. J'ai appris à connaître Junpei lorsqu'il sortait avec mon amie. Dans un premier temps, je me suis dit qu'elle avait de drôles de goûts, et dans un second, j'ai carrément compris ce qu'elle lui trouvait. C'était troublant. Mais aujourd'hui j'ai parfaitement organisé mes idées le concernant et tout va bien.

Bien vite, le serveur se pointe et je le regarde à son tour.

« Je veux un grand Whiskey, et un grand bol de nouilles, s'il vous plaît. »
Et puis je regarde Junpei : « Qu'est-ce que tu veux manger, toi ? »

Je me doute bien qu'il va prendre des nouilles aussi, je crois que les quelques fois où j'ai eu l'occasion de le voir manger ou de manger en sa compagnie… Il mangeait des nouilles. A croire que c'est la base de son alimentation. Et ça se peut d'ailleurs. Et je jugerais pas, j'aime bien les trucs tout simples qui demandent pas des efforts monstrueux à préparer ou à avaler.

Il aimait passer du temps avec Aoi pour sa patience. Après tout, elle lui pardonnait tous ses écarts de personne un peu étrange, et elle ne le jugeait pas plus que ça. C’était toujours agréable d’être avec elle. Ça le mettait à l’aise.


Il haussa les épaules. Il en avait vraiment rien à faire de sa relation avec ses collègues. Après tout, il n’était pas là pour se faire des amis, mais bien pour toucher un bon salaire. Bientôt, il passerait professeur principal de l’une des classes. Il n’avait pas franchement hâte. Mais le supplément qu’il allait toucher le motivait particulièrement.

Puis elle lui parla de ce type chelou, et il fronça les sourcils, légèrement inquiet. Il n’aimait pas trop qu’elle travaille pour un host club dont il n’avait pas la charge. Après tout, il voulait vraiment veiller sur elle.


Il fini sa bière d’une traite, sans même prendre le temps de la savourer, et se lécha les lèvres pour enlever l’excédent de mousse. Il avait toujours eu une excellente descente. Et pourtant, il avait une tenue à l’alcool qui était extraordinaire. Probablement due à toutes ces fois où il avait dû boire, même étant jeune. Il en avait pris des cuites à s’en fracasser la tête contre le sol, à ne plus se souvenir de rien. Mais c’était il y a bien longtemps, dans sa jeunesse. Son père l’avait initié très tôt (trop tôt) à l’art de la boisson, et ce, même s’il était mineur dans le temps. Sa mère n’y avait opposé aucune résistance. « Tu seras un homme mon fils ».


Il rêvait d’un bol de ramens, avec des takoyakis. Il avait choisi ce restaurant particulièrement parce qu’il proposait des boulettes de poulpe.


Il commanderait d’autres choses à manger plus tard. Junpei c’était ce genre de type qui pouvait avaler trois bols de nouilles sans jamais être repu. Ou même par gourmandise.

Il avala un verre d’eau, et se ressaisit, son ventre gargouilla, alors il posa une main sur son estomac. Pas franchement gêné, mais plutôt dérangé par la douleur que ça avait provoqué.

J'écoute attentivement ce qu'il me raconte à propos de son lieu de travail. J'avoue que je lui ai jamais demandé dans quel lycée il allait enseigner et tout. C'est mon amie, son ex-petite-amie qui m'avait dit qu'il allait avoir un poste dans un bon lycée. Peut-être qu'elle le pensait et qu'elle voulait être encourageante. Peut-être qu'elle avait dit ça parce que ça faisait plus classe. Je n'en sais trop rien. Je hoche la tête lorsqu'il termine de m'expliquer.

« Ah bon, je savais pas. Je comprends un peu que t'aies pas envie d'aller farfouiller dans la vie des autres… Si ils ont pas envie de faire des efforts, bah… Tu peux pas les forcer non plus. »

Mais Junpei, il est patient, terriblement patient. Je crois que si j'avais des élèves chiants ou qui se donnent pas la peine, je perdrais patience très vite. J'aurais du mal à avoir l'impression de faire les choses dans le vide. Mais apparemment, lui ça ne le dérange pas. Ça ne me surprend pas. Et moi, je suis carrément confortée dans l'idée que je chercherai jamais à devenir professeur.

« Oui, c'est sûr qu'on ne peut pas plaire à tout le monde. Certains ne peuvent juste pas supporter que quelqu'un soit pas du même avis qu'eux de toute façon. »

Et c'est carrément comme ça ici. Contredire c'est mal vu. Être à contre courant c'est mal vu. C'est pas vraiment l'endroit pour être soi-même alors que… C'est tellement cool d'arriver à se sentir en accord avec soi-même et d'arriver à se détacher de ce que pensent les autres ! Moi, j'en suis pas totalement capable, pas encore, mais… J'arrive tout de même à attirer des regards en biais assez régulièrement parce que je suis pas une petite potiche docile et discrète. Tant pis ?

« Oh. Ben… Quand il est arrivé, j'ai cru qu'il était complètement ivre, puis il m'a récité une poésie, et après j'ai mangé du citron et bu le Whiskey maison avec les piments dedans. Je pense qu'il est pas méchant mais… Je savais plus où me mettre au début… C'est assez surprenant. Je crois que c'est juste un mec un peu perché, tu vois ? » je dis avant de lâcher un petit rire légèrement nerveux.

Mais je suis sortie en vie de cette soirée, c'est le principal, pas vrai ? Et puis étrangement, je crois que je ne suis même pas tant traumatisée, même si au début franchement… J'étais assez terrifiée et j'ai maudit ma collègue, son hôtesse habituelle, d'être absente ce jour là.
Sa petite remarque sur ma commande me fait rire. Je secoue doucement la tête.

« Tu aurais pu le dire tu sais ? »

J'ai fait le bon choix en décidant de prendre la boisson en même temps que la nourriture, mais… Il aurait pu me le dire aussi, si je n'avais pas fait ce choix et qu'il m'avait demandé, je l'aurais fait aussi.

« Je t'aurais pas laissé mourir de faim. »

Je lui adresse un sourire amusé, je le laisse commander à son tour. Il demande bien plus de choses que moi mais… Peu importe. Je sais que c'est un vrai glouton. Moi… Je suis plus attirée par les boissons en fait. Déformation professionnelle, peut-être. Je ne buvais pas avant, mais depuis que je suis hôtesse, j'ai un penchant prononcé pour l'alcool, même quand je ne suis pas sur mon lieu de travail. J'y trouve quelque chose d'intéressant, pour pouvoir mettre de côté tout ce qui est pollution mentale. Sans ça, j'ai l'impression de ne pas y parvenir. Pas aussi bien.
Le serveur nous laisse, le temps d'aller s'occuper de notre commande et j'entends très clairement le gargouillis du ventre de Junpei.

« Eh ben, tu plaisantais pas quand tu disais que tu meurs de faim. » je le taquine alors. « Tu vas tenir jusqu'à ce que notre commande arrive ? »

Après, je comprends. A l'instant T j'ai faim mais ça va encore. Le soir où j'ai rencontré Noriko, si elle m'avait encore plus ralentie alors que je voulais aller manger, je crois que j'aurais pu la manger elle-même.

« Ca fait super longtemps qu'on s'est pas vus, je suis contente que tu m'aies proposé qu'on se voit. »

Assez cocasse pour un yakuza de vouloir se retrouver à l’abri. Mais il savait surtout que certains de ses élèves se retrouvaient à fricoter avec des clans ennemis, et il n’était franchement pas conseillé de créer des conflits avec ses ennemis.


Sa voix était devenue beaucoup plus sombre. Une lueur colérique passa dans son regard l’espace d’un instant. Imaginer quelqu’un faire du mal à Aoi le mettait hors de lui. Faire du mal à une femme en général aussi pour ainsi dire. Mais il tenait à Aoi d’une autre façon. Si sa protection envers les demoiselles n’était due qu’à son éducation, ce qu’il avait ressenti pour Aoi à ce moment-là venait d’une affection toute particulière qu’il avait pour elle.


Quand il le voulait, ce bougre savait être attentionné. Lorsqu’il appréciait les gens, il devenait souvent un allié de taille, et son côté discret et froid faisait de chacune de ses relations, une relation privilégiée avec le jeune homme. Chaque personne qu’il fréquentait, il la rendait unique.


En vrai, il n’était pas très drôle, et souvent assez maladroit dans ses interactions sociales. Il n’était pas fait pour communiquer avec la plupart des gens, et se retrouvait vite à être malaisant. Mais certaines personnes étaient habituées à ce côté pataud et à côté de ses pompes. Au fond cela lui donnait une sorte de charme prononcé.

Il était touché par sa phrase, et son sourire fut moins discret. Probablement qu’en y prêtant un peu d’attention, on aurait pu le voir rougir.


Il faisait rarement ce genre de réflexion, mais il était toujours sincère lorsque c’était le cas.

La commande ne tarda pas trop à arriver, et après avoir souhaité un bon appétit à Aoi, il se jeta sur ses takoyakis avec beaucoup d’intérêt, enfournant une boulette de poulpe brûlante dans sa bouche.
Il regarda la jeune femme désespéré, les joues rosies par la chaleur, et les yeux larmoyants. Quel spectacle amusant !

Je ne peux m'empêcher de rire quand il me fait une description des personnes qu'il côtoie au travail. On va dire que c'était plutôt… Inattendu. Et je trouve ça drôle d'imaginer son air totalement blasé au milieu de tous ces gens clichés et des situations bizarres. Franchement, j'aimerais bien être une petite souris pour pouvoir assister à ça au moins une fois. Je suppose que ça doit être chiant à la longue, mais… Juste une fois ! Je suis sûre qu'il détonne carrément de ce milieu, ce grand mec passif au milieu d'un bordel sans nom.

« Et bien, ça a l'air animé au moins ! » lui dis-je alors finalement.

Je crois déceler une pointe d'inquiétude quand je lui parle vaguement du drôle de gugusse qui est venu au bar l'autre soir. Je trouve ça… Plutôt mignon, je dois bien l'avouer. Est-ce que c'est bizarre ? Je crois qu'il faut grave s'accrocher pour trouver des choses mignonnes chez ce mec, mais… Ouais, moi j'y arrive apparemment.

« T'inquiètes pas. En plus, une fois il a dégagé un type un peu trop tactile avec moi, c'est le signe qu'il est pas complètement sadique, non ? » ou alors je suis carrément naïve, je sais pas. « Il m'a pas fait de mal en tout cas. »

Je lui adresse un sourire agréable, j'aimerais virer cette nervosité qui semble s'être invitée dans son regard.

« Oh mais t'en fais pas, je peux totalement profiter de la soirée avec mon verre de whiskey à côté de mon bol de nouilles. »

Je lui adresse alors un petit clin d'oeil se voulant complice. Moi, je suis pas le genre de nana chiante et compliquée qui veut absolument que les choses soient faites avec une perfection pas atteignable. En plus, c'est même pas un rencard alors honnêtement… On s'en fiche encore plus, non ?
Mes yeux s'arrondissent presque imperceptiblement sous la surprise quand il me parle de s'auto-digérer. Mais mon sourire revient vite, je comprends qu'il a voulu faire un petit trait d'humour, j'apprécie.

« Ah oui, si tu pouvais éviter ça m'arrangerait bien. »

Bien sûr, c'est même carrément honnête. Moi je l'aime bien, Junpei, donc je ne lui veux pas de mal… Et je souhaite encore moins sa disparition ! Et je ne peux m'empêcher de lui dire que je suis bien contente que cette rencontre ait lieu, parce que c'est simplement la vérité et que je ne pense pas en avoir honte. Et sa réponse me satisfait carrément en plus !

« Mais ouais ! Viens on fait ça ! »

Je serai bien contente qu'on en vienne à se voir plus régulièrement, ça ne pourrait pas être désagréable et ça me fait toujours plaisir de passer du temps avec lui. Malgré la rupture avec mon amie - qui date - je n'ai jamais vraiment cherché à couper les ponts avec lui. Après tout… Je ne faisais pas partie du coup alors je ne suis pas obligée de choisir, n'est-ce pas ?

Notre nourriture arrive enfin, tout fume carrément et semble sortir du feu. Et pourtant, Junpei, tel l'ogre qu'il est, se jette sur ses brochettes et devient carrément écarlate. Je mets ma main sur ma bouche, étouffant un rire face à cet air désespéré que je n'avais jamais vu chez lui.

« Mais quelle idée !! »

Rapidement, je prends la carafe d'eau pour remplir son verre. Qu'il boive un peu pour apaiser la brûlure, ça peut être une bonne idée !

« Mais en même temps je comprends, ça a l'air très bon. »

Tandis que je remue mes nouilles avec mes baguettes et que je les aère un peu pour qu'elles soient moins bouillantes, j'observe l'homme qui est installé en face de moi. Il est carrément mignon avec ses joues rougies. C'est bête et ça n'a aucun rapport, mais ça fait carrément sortir son air renfermé. Il a clairement une tête de mec tout timide comme ça. C'est plutôt craquant.
Qu'est-ce que je raconte ?

Je me saisis de mon verre de whiskey et je le bois. Je le bois sans prendre le temps de le savourer, j'avale la quantité d'alcool en une fois et je souffle sur mes nouilles avant de commencer à manger.

C’est vrai qu’elle avait ce côté un peu à voir le bon chez tout le monde, Aoi. Et justement, Junpei ne trouve pas forcément ça très rassurant. Ça lui donne un côté adorable, dont on a envie de s’occuper. Mais dans le cadre d’un travail d’host, c’est aussi ce qui fait d’elles les plus vulnérables. Alors il peut pas s’empêcher d’être inquiet, parce que franchement, le premier qui toucherait à Aoi, il le dégommerait.

Puis, il est content qu’elle soit réceptive à son idée de se voir plus souvent. Après tout, il n’a pas grande fréquentations. Il est plutôt solitaire. Seulement quand il fréquente certaines personnes, il a envie de les voir le plus souvent possible. Parce que ça signifie qu’elles sont importantes pour lui. Ça le fait sourire. C’est pas si rare que ça lui arrive, finalement, lorsqu’il est en compagnie d’Aoi. Elle sait le dérider.

Mais il n’y a pas que ça qu’il apprécie chez la douce demoiselle. C’est quelqu’un de très attentionnée, et ça, Junpei, il apprécie. Il aime quand on s’occupe de lui. Aussi lorsqu’elle lui verse de l’eau pour l’aider à calmer sa brûlure, et qu’il avale tout rond son takoyaki, manquant de s’étouffer, il reste heureux. Il avale le contenue de son verre d’une traite, soulagé par la douceur de l’eau, puis il reprend contenance, comme si rien n’était jamais arrivé. Mais elle ne l’a pas jugé, au contraire elle a fait preuve de compréhension. Lui, il aurait forcément pensé quelque chose de négatif, même si au fond, ça lui aurait paru un peu égal. Il est comme ça. A juger et en même temps à s’en foutre royalement.

Il la regarde descendre son verre sans le savourer. Il n’a rien à dire il a lui aussi la descente rapide. Mais l’alcool qu’elle s’est enfilé est quand même bien plus fort que celui qu’il a bu quelques minutes plus tôt.


Mouais. C’est pas forcément le genre de chose le plus agréable que l’on peut sortir, ou même imaginer. Mais c’est une marque d’affection venant de lui. Après tout, il est terriblement maladroit socialement parlant. c’est ce qui fait qu’il est souvent seul. Mais y’a des gens que ça effraie pas, et qui restent auprès de lui même quand il est bizarre. Au final, faut pas s’offusquer avec Jun’. Il est juste déconnecté, un peu chelou. Mais ça fait tout son charme après tout.
ft @miyamoto aoi

Est-ce que je suis censée me vexer ?
A peu près n'importe qui se serait vexé, non ?
Et moi, pourtant, je ris. Il me qualifie de naïve et je ris. Parce que je pense qu'il me pense plus naïve que je le suis réellement. Parce que je me donne un air d'imbécile heureuse alors que je suis ni complètement conne, ni totalement heureuse non plus. Mais ça permet de cacher les blessures, de camoufler ce qui est enfoui. Parce que ça permet aux gens d'être à mes côtés sans se méfier. Peut-être que je suis un peu bête, un peu naïve, mais… Probablement pas autant que ce que l'on peut s'imaginer. J'aime juste faire les choses à ma manière. Voir les choses à ma façon. Trouver un moyen de vivre et de voir ma vie sans ressentir le besoin de m'en plaindre tout le temps. Je me plains jamais, ou presque, en fait. Et je fais en sorte de ne voir ni les choses en blanc, ni en noir, mais plutôt en nuances de gris.
Mais il me qualifie de naïve et ça me fait rire de ce petit rire amusé de quelqu'un qui verrait de l'ironie dans les paroles de quelqu'un qui est pourtant clairement clair avec l'avis qu'il vient de donner. Il n'y a pas de détour avec lui. Mais je m'en fous un peu. Je ne pourrais pas rester auprès de lui si j'étais du genre à me froisser pour si peu. Et puis il y a pire dans la vie, pas vrai ?

En tout cas, pour moi, c'est un peu comme si on s'était jamais quittés. J'ai la sensation de retrouver le Junpei d'avant, parfaitement à l'identique. Il a pas changé. Il a pas de raison de changer. Moi j'aime bien. Parce que c'est quelqu'un de discret et pourtant quelqu'un de vrai en même temps. La soirée se commence plutôt bien, le repas débute très vite parce qu'on est là pour manger et qu'on a fait tous les deux. Et la brûlure arrive d'ailleurs dès le début du repas, et je ne peux m'empêcher de me moquer un peu de Junpei qui est tout bonnement la victime de sa gourmandise. Mais c'est pas méchant, tu vois. Il se vexe pas si vite lui non plus, sinon y'a des chances qu'il pourrait pas passer de temps avec moi. On passe très vite le sujet, aussi vite qu'il boit le verre d'eau que je lui ai versé. Et moi, c'est l'alcool qui s'écoule à toute vitesse dans ma gorge. Sale habitude. Son commentaire me fait rire.

« Ca fait bien longtemps que je ne vomis plus moi, monsieur. »

Et je lui dire la langue avant de commander à boire. Et même si il m'a invitée, je pourrais bien participer si ça revient cher, ça m'est égal. Et je bois, et je mange mes nouilles. L'alcool me monte bien vite à la tête, mais ça ne m'inquiète même pas. C'est une sensation à laquelle je me suis habituée, parce qu'elle fait partie de mon travail, parce qu'il faut boire avec les clients pour les faire consommer et faire gagner plus d'argent à la maison. J'ai appris à l'apprécier, cette sensation, et quelque chose au fond de moi ne saurait même plus s'en passer, même si je ne me l'avouerai jamais.

« Alooors, tu as eu des rencards dernièrement ? Parce que c'est bien d'inviter une vieille amie mais une nouvelle petite amie c'est mieux !! » lui dis-je à un moment donné pour l'embêter un peu.