Shut the fuck up - ft Sora.

Il arpentait tranquillement les allées de la faculté. Toujours de cette démarche lente et nonchalante qui en agaçait plus d’un mais qui faisait entièrement partie de son lui. L’ordinateur sous le bras, il semblait totalement perdu. Bien qu’il savait parfaitement où il allait. Sa particularité était de paraître souvent hors du temps, à côté de la plaque.

Il ne souciait que peu du regard des autres, et d’entendre les soupirs d’agacement des gens qui étaient derrière lui, attendant avec grande patience que monsieur se décide à passer la seconde. Mais il continuait à la même allure, créant parfois quelques bouchons dans les escaliers. Mais bon, à quoi bon s’en soucier après tout ?

Aujourd’hui, il n’avait pas de cours, que ce soit au lycée ou à l’université où il enseignait, il était libre. Enfin,  c’était un bien grand mot puisqu’il devait encore continuer sa thèse loin d’être terminée, et pour laquelle il n’avait aucun intérêt. En réalité, il n’éprouvait de l’intérêt que pour peu de choses. Un bon yakuza devait savoir se libérer de tout lien d’attachements ou de divertissements pour ne pas se laisser distraire de la tâche initiale. Seul son clan trouvait grâce à ses yeux. Tout le reste ce n’était que des conneries.

Au lycée, ses élèves l’agaçaient par leur débilité profonde, et leur manque de jugeote. Bien qu’il restait chaque soir deux heures supplémentaires pour s’occuper d’eux si besoin, il ne s’impliquait pas particulièrement dans leur vie à la différence de tous les autres professeurs. Comme eux il était dans un lycée à problème, mais les bagarres et les violences, il passait à côté sans rien dire. Après tout c’était sans importance. Il avait reçu quelques blâmes de sa direction pour ce manque d’investissement. Alors il s’efforçait de faire plus attention. Il ne savait pas pourquoi il était devenu professeur. On lui avait posé la question. Il n’avait pas su répondre.

A la fac, ses étudiants il les trouvait inutiles. Ils étaient tous plus stupides les uns que les autres, et il savait qu’aucun n’aurait leur diplôme. Mais il ne disait rien. Il paraissait qu’il fallait feindre de croire en eux pour ne pas les démoraliser. Il se demandait souvent comment ils avaient pu intégrer Todai, mais qu’importe. Ils étaient là maintenant.
Quelques uns se détachaient du lot. En bien, ou en mal. Il y avait cet étudiant au style décalé, les cheveux teints et le look toujours étrange. Il était là pour faire suer Junpei, et sa vie il la passait à foutre le bordel en cours. A savoir pourquoi ses parents dépensaient une telle somme pour le voir continuer de faire ça. Mais bon, c’était ces sommes qui lui permettaient de toucher un joli salaire. Et puis, de sa patience, il n’était pas du genre à péter les plombs face à un gamin à la maturité d’une huître. Alors, il se contentait de l’ignorer, ou de le regarder sans grand intérêt. Il faisait plus suer ses camarades que le professeur lui-même. Au fond, c’était un drôle de jeu qui l’amusait particulièrement.

En parlant de lui, le voilà qui traverse le même couloir. Il devra dire bonjour, comme à chaque fois. Il déteste croiser ses étudiants en dehors des cours. Ça le fait littéralement chier.

Enfin un après-midi de liberté. Déjà plusieurs jours que sa mère le kidnappe tout le temps pour les préparatifs de ses fiançailles. Et ça devient très lourd. Entendre parler de bague, de robe, de fleurs, de bouffe... Il a besoin de respirer. Alors d’un message téléphonie, il annule cet énième rendez-vous qu’il avait avec elle et sa future belle-mère. Il s’invente un devoir en mathématique - alors qu’il n’a même pas de cours en cette matière -, puis s’échappe de son appartement, un ballon de football sous le bras. Il se rend sur le campus, là où il sait qu’on ne l’embêtera pas. Il fait beau aujourd’hui, froid, mais ensoleillé. Le temps idéal pour taper dans la balle. Alors une fois dans un petit coin tranquille, il se met à jongler avec le ballon, une bonne demi-heure. De quoi se défouler et se changer les idées. Il ne s’arrête qu’une fois rappeler à l’ordre par son téléphone. L’un de ses camardes de classes, lui propose une session révision ensemble, et manquant cruellement de sérieux, il se sent dans l’obligation de s’y rendre. Ses notes ne sont pas très bonnes ces derniers temps. Forte baisse de motivation et d’intérêt pour sa filière. Mais si son père vient à l’apprendre, ce n’est plus un simple mariage qui l’attend, mais la mort. - Le quel est vraiment le plus terrible ?  

Le ballon sous le bras à nouveau, le voilà qui prend la direction des bâtiments. Il envoie quelques textos sans vraiment regarder ou il va, jusqu’à ce quelques complaintes au loin, le ramène à la réalité. Devant lui, un bouchon est en train de se créer dans le couloir d’en face. Et la raison arrive vite à ses yeux. Son professeur de TD d’histoire, Takeda-sensei, qui semble ne même pas prêter la moindre attention au bordel qu’il fout. Ce qui n’étonne même pas le blondinet. Même lui, le petit nombril du monde, quand il tente d’animer la galerie en cours, ça n’arrache pas un seul sourire à l’enseignant. Il est hors du temps, ailleurs, dans une autre dimension. C’est à se demander ce qu’il fout vraiment là. Les professeurs de TD sont là pour les aider, les guider, mais lui, il fuit les entrevus avec les étudiants, et ne semble pas même s’intéresser à l’un d’entre eux, pas un. Même pas Sora. Qui s’en vexait quelque peu. Ce n’est pas dans ses habitudes, de ne pas occuper le centre d’attention.  

Alors de loin, le gamin l’observe, les yeux gagnant en malice, un peu plus chaque seconde. Le sourire s’étirant en coin de ses lèvres, il a une mauvaise idée derrière la tête. D’un pas décidé, il reprend en direction de Junpei, puis élève la voix pour l’interpellé.  

« Takeda-sensei!!! »

Quelques regards se tournent vers lui, par manque de discrétion. Qu’importe, il s’approche, sous ces petits regards mérités. Il se met à hauteur du professeur, pour marcher à ses côtés, ralentissant sa propre marche pour suivre l’autre qui, avouons-le, semble avoir des problèmes avec ses jambes.  

« Il y a un sacré bouchon derrière vous, ou c’est un harem. »

Il ricane bêtement à sa propre réflexion. Ça ne l’aurait pas étonné que Takeda ait son petit harem d’admiratrices. Il est beau garçon. Ce n’est pas parce qu’on est un homme, qu’on ne peut pas reconnaître la beauté d’un autre ? Si ? Alors il y a un problème.  D’un sourire enfantin, il suit la même direction que Takeda.

« Je me demandais, serait-il possible que vous nous aidiez dans nos révisions ? »

Il sait d’avance qu’il va recevoir un refus, mais justement, pourquoi ? Ce n’est pas normal qu’un professeur ne se soucie qu’aussi peu de ses élèves. Il y a un truc qui cloche avec lui. On ne devient pas professeur par dépit. On ramasse les poubelles par dépit, ou on tient la caisse au 7 Eleven du coin, mais en aucun cas, on ne devient professeur.  

« Parce que, vous ne le faites jamais, et je crois que c’est obligatoire. Dans la convention de l’école... Un truc... Comme ça. »

Est-ce qu’il y a vraiment une convention de l’école ? Probablement pas, mais il y a de fortes chances que Takeda n’en sache rien non plus, aux vues de l’implication qu’il a au sein de l’université. Et c’est reparti pour l’un de ses sourires les plus innocents qui soient. Innocent, mais si espiègle dans l’ombre.

Il en était sûr qu’il allait venir lui parler. En fait, il l’avait pressenti au moment même où sa tête blonde était apparue au fond du couloir. Alors il avait lâché un soupir. Les étudiants ne savaient pas se défaire de leur professeur, et cette relation paternaliste ne lui convenait pas du tout.
Il cria son nom dans le couloir, et Junpei se stoppa net. Il n’avait pas le choix après tout, il était de son devoir de s’arrêter lorsque ses étudiants avaient besoin de lui. Mais il soupira à nouveau et se tourna vers son élève.



Même si le jeune homme (de seulement deux ans son cadet) n’avait pas pris la peine de le saluer, Junpei, lui, restait fidèle à lui même. Un homme bien élevé et en apparence sans problèmes. Il se retourna en voyant le bouchon qui s’était formé derrière lui et haussa les épaules avant de focaliser à nouveau toute son attention sur celui qui le retenait dans le couloir.


Il se décala de deux pas, de sorte que le jeune homme fasse de même et qu’ils décoincent le couloir qui se fluidifia aussi tôt.


Il espérait qu’il ne l’avait pas interpellé pour rien, mais en même temps il s’en doutait un peu. C’était toujours comme ça avec ce gosse. Il avait une passion pour emmerder Junpei que ce dernier ne comprenait pas. Quel était l’intérêt d’aller en études supérieures si l’on ne voulait pas être là ? Franchement au prix de l’année, il valait mieux s’abstenir. Lui-même étudiant il ne lui serait jamais venu à l’esprit de foutre un quart du bordel que foutait Takamatsu.


Il lui coupa la parole, ce qu’il laissa faire sans broncher pour écouter les sornettes que lui balançait son étudiant. Il aurait volontiers accepté de leur donner un coup de main si c’était réellement nécessaire, mais il lui semblait à présent que c’était plutôt une marque de provocation. Junpei n’aimait pas être provoqué, mais en soit, il ne réagissait jamais. Comme s’il n’en avait rien à péter. Parce qu’au fond de lui, ça ne l’impactait pas plus que ça.

Il n’était pas du genre à se mettre en colère, ou à ressentir cette vague l’envahir. Lorsque cela arrivait, il devenait si dangereux que même ses frères du clan l’évitaient soigneusement. Il devenait bien trop fou, il perdait la raison. Fort heureusement pour Takeda, Junpei était plutôt du genre calme. Il ne risquait pas sa vie en provoquant son professeur.


Il ne rechignait pas à la tâche malgré sa mauvaise réputation. Même s’il ne s’intéressait pas particulièrement à la vie de ses élèves, qu’importe leur âge, Junpei faisait correctement son travail, et on avait rien à redire là-dessus. Alors une fois de plus, même si ça le faisait royalement chier, surtout avec Takeda, il acceptait de faire son travail de professeur. Sa thèse attendrait après tout, pour elle non plus il n’avait pas particulièrement d’intérêt.